la psychothérapie intégrative par Héloïse Junier

 

"Finalement, ce qui compte le plus n’est pas l’approche du thérapeute, intégrative ou non, 
mais le thérapeute lui-même, puisque ce dernier assurerait à lui seul plus de la moitié de l’efficacité d’une psychothérapie. "
Bruno Falissard, psychiatre

Fini le temps où l’on portait un dévouement quasi religieux à une seule et 
même chapelle théorique : les psys « nouvelle génération » tendent à multiplier 
les cordes à leur arc thérapeutique.

Si nous étions un tant soit peu emphatique, nous estimerions qu’il y a autant de psychothérapies que de patients. Ou presque. À l’heure actuelle sont recensées entre 500 et 700 méthodes différentes, rien qu’en Occident, selon le psychiatre et psychanalyste Richard Meyer, fondateur de l’École européenne de psychothérapie socio- et somato-analytique (EEPSSA), et auteur du Manifeste de la psychothérapie intégrative (1). Toutes sont, de surcroît, enrichies de variables personnelles propres aux psychothérapeutes eux-mêmes, les multipliant à l’infini. Elles sont généralement regroupées en cinq grandes familles : d’inspiration psychanalytique, comportementales et cognitives, systémiques familiales, psycho-corporelles, humanistes. « Cette multiplication n’est pas récente. Elle a accompagné l’émergence des principales écoles psychothérapeutiques qui remonte aux années 1930-1950 dans les pays occidentaux. De plus, avec le mouvement du développement du potentiel humain* issu des psychothérapies, de nombreux auteurs ont inventé leurs propres théories et méthodes », analyse Françoise Zannier, docteure en psychologie, psychothérapeute et superviseur intégratif, auteure de l’ouvrage Éclectisme et intégration en psychothérapie : intérêts et enjeux d’une profession (2).


Cette multiplication des méthodes résulte tout d’abord de l’élar­gissement des dimensions humai­nes exploitables dans le cadre de thérapies. Aujourd’hui, peuvent être sollicités :

  • le corporel (via la relaxa­tion)
  • les états de conscience modifiés (via la méditation)
  • l’affection pour l’animal (via les thérapies avec les animaux)
  • la créativité (via l’art-thérapie)
  • la famille, le couple, la sexualité

Et ce n’est pas tout : « Les méthodes développées sont de plus en plus pointues, pour des diagnostics eux-mêmes de plus en plus précis, c’est par exemple le cas de l’EMDR* pour traiter le syndrome post-traumatique, de la désensibilisation systématique pour soulager l’anxiété, ou encore de la thérapie systémique pour les troubles familiaux. Sans oublier que la psychopathologie évolue, et que la définition même des troubles mentaux se complexifie », indique Richard Meyer. 


À chaque poison, son antidote ; à chaque difficulté psychique, sa psychothérapie ? Ne nous fions pas aux apparences. Ces méthodes ne sont pas si étrangères les unes des autres. « Beaucoup d’auteurs ont repris des concepts et des notions qu’ils ont intégrés dans des constructions nouvelles. Aux yeux des profanes, il peut s’agir de méthodes originales, alors qu’en réalité, certains de ces savoirs, que je nomme pata-théories, plagient à l’infini les principaux modèles », précise Françoise Zannier. Si ces psychothérapies semblent si distinctes les unes des autres, c’est parce qu’elles sont maintenues officiellement comme telles par leurs précurseurs, fondateurs et adeptes.


Officieusement, les limites sont spécieuses. « Constater des différences essentielles entre deux systèmes psychothérapeutiques (…) c’est comme dans l’histoire de cinq aveugles qui touchent une partie différente d’un éléphant, croire que ce dernier se résume à un tuyau creux (la trompe), ou, à quatre troncs avec des écailles à la base (les 4 pattes), ou, à deux feuilles plates (les deux oreilles tâtées par l’un des aveugles), etc. Il en est de même pour les différentes chapelles thérapeutiques. Leurs différences apparentes ont soutenu l’illusion de leur originalité propre, comme des êtres réels qui auraient une existence autonome », observent les psychiatres et psychothérapeutes Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine dans leur ouvrage Les bases de la psychothérapie. Approche intégrative et éclectique (3).


La proximité de ces diverses ap­­proches ne peut qu’ouvrir la voie à l’éclectisme et à la psychothérapie intégrative : pourquoi ne se limiter qu’à une seule méthode lorsque tant d’autres sont à notre portée ? « Il existe une telle synergie entre ces méthodes que, mises au travail ensemble, successivement ou simultanément, le pouvoir thérapeutique de chacune s’accroît », estime Françoise Zannier. « La réunion de centaines de méthodes réalise une vue d’ensemble du fonctionnement humain, et permet sa compréhension globale. Une seule méthode ne permet pas de tout comprendre », renchérit Richard Meyer.


Chaque méthode implique une attitude spécifique de la part du psychothérapeute. L’intégration de plusieurs méthodes permet ainsi d’enrichir sa boîte à outils : ce n’est plus au patient de « s’acclimater » à son thérapeute, mais au thérapeute de s’adapter à la singularité de son patient. « N’appliquer qu’une seule méthode à tous les patients me fait penser au mythe de Procuste : ce dernier étirait les membres de la personne au moyen de cordages, ou lui coupait les pieds, pour les mettre à la mesure du lit », ironise Olivier Chambon. Certes, intégrer diverses méthodes thérapeutiques présente son lot d’avantages. Mais suffit-il de mixer ses trois méthodes préférées et de les servir bien fraîches à son patient aguerri ? Non. Ce travail est une aventure pionnière et créative, nécessitant un réel investissement personnel de la part du psychothérapeute, doublé d’une éthique hors pair. Car, face à la puissance de tels outils, les abus peuvent sévir. L’intégration s’avère plus complexe que le simple fait de privilégier la thérapie cognitivo-comportementale pour une personne qui souhaite redevenir rapidement fonctionnelle, et au contraire, l’approche analy­tique pour une personne, propice à l’introspection, qui désire aborder ses difficultés dans un contexte plus large. « L’objectif est de décons­truire les méthodes et les pathologies, et de relever les facteurs communs" explique Richard Meyer, et encore "par exemple, dans la relation au patient, on retrouve l’alliance thérapeutique, l’attachement et le transfert.

Dans les 400 pathologies recensées par le DSM-5 (4), on retrouve trois processus de base :

  • le stress
  • l’état de choc
  • le bloc – le fait de répéter toujours la même chose.

Si le psychothérapeute reçoit un patient souffrant de stress, il va coupler le stress avec une méthode appropriée, parmi les 4 ou 5 méthodes traitant le stress qu’il a dans sa boîte à outils » . Une technique pointue qui nécessite une connaissance très approfondie des méthodes et des troubles mentaux.


 

1/ Attention : guerre de chapelles !


Diversité, unité et créativité des psychothérapies… Sur le papier, la psychothérapie intégrative a de quoi séduire. Seulement, dans la corporation des psys, diversité ne rime pas avec unité. Chacun tend en effet à prôner son approche psychothérapeutique, sagement blotti dans sa chapelle théorique. 


Comme l’indiquent Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine, l’ap­par­tenance à une chapelle cultive le sentiment de sécurité du psy et lui procure une forme d’iden­tité. « Il est important d’aller à la rencontre du patient et de se distancier de l’abri sécurisant du modèle théorique. Il faut bien quitter un jour sa famille si l’on souhaite grandir», souligne Olivier Chambon. « La plupart des psychothérapeutes ont appris à maîtriser une, deux ou trois méthodes dans le cadre de formations longues. Ainsi, à l’issue d’un tel investissement, ils n’ont plus le temps, ni l’envie, d’en faire d’autres, ce qui limite les apprentissages. De ce fait, ils cherchent, une fois installés en cabinet, à les appliquer à tous leurs patients et à les extrapoler tant bien que mal. Ceci diminue malheureusement l’efficacité de telles méthodes », explique quant à lui Richard Meyer.


Les universités ne promeuvent pas non plus une grande diversité. Bon nombre de formations en psychologie demeurent à dominante psycha­nalytique, présentant les thérapies comportementales comme des courants différents, voire alternatifs.


Certaines méthodes issues de cultures traditionnelles, extra-occidentales, pourraient néanmoins prendre une place croissante dans l’éventail des psychothérapies au cours des prochaines années : « L’holistique ou le spirituel sera l’étape ultérieure de cette approche intégrative. Bientôt on intégrera l’âme, les états modifiés de conscience",  souligne Olivier Chambon. "Il ne faut pas oublier que dans le terme psychothérapie, on retrouve le mot grec psyché, qui signifie l’âme. Avec le temps, nous avons oublié cette dimension de l’individu. »

(1) Richard Meyer, Manifeste de 
la psychothérapie intégrative, Dangles, 2010. Voir aussi La pleine présence. Une méditation basée sur les 12 principales psychothérapies, Guy Trédaniel, 2013.


(2) Françoise Zannier, Éclectisme et intégration en psychothérapie : intérêts et enjeux d’une profession, L’Harmattan, 2010.


(3) Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine, Les bases de la psychothérapie. 
Approche intégrative et éclectique, 
Dunod, 3e édition, 2010.


(4) Pour en savoir plus sur le DSM-5, 
voir le dossier « Maladies mentales : 
quoi de neuf, Docteur ? », Le Cercle Psy n° 9, juin-juillet-août 2013.

2/ Intégrer, c'est avant tout choisir

Imaginons un instant Monsieur Bertrand qui pousse la porte du psy, 
se plaignant de sa grande anxiété, et de ses difficultés conjugales. Intégrer les méthodes consiste avant tout à faire des choix concrets :

  • Quel canal de communication sera privilégié : le verbal, le corporel, 
le médiatisé (art, animal) ?
  • Quel cadre de vie : le groupe, l’individuel (avec le thérapeute), le solo (pratique à faire chez soi) ?
  • Quelle en sera la durée : s’agira-t-il d’une thérapie courte (moins 
de quinze séances), moyenne (de 6 à 18 mois) ou longue (plusieurs années) ?
  • Quelle sera l’attitude du thérapeute : directive, analytique, interactionnelle ?

L’expertise, aussi riche soit-elle, ne permet pas à 
elle seule une intégration. « Il faut vivre et s’ouvrir émotionnellement à plusieurs méthodes. Les conceptualiser ne suffit pas. Progressivement, au fil des lectures, des formations et de nos propres séances, on perçoit le fil rouge et on apprend à associer différentes méthodes les unes 
aux autres" explique Olivier Chambon.

3/ Pas n'importe comment, ni avec n'importe qui !

Psychiatre, directeur de l’unité Santé mentale 
de l’adolescent de l’Inserm, Bruno Falissard enjoint à se prémunir des déviances potentielles de 
la psychothérapie intégrative : « Même si de plus 
en plus de praticiens sont intégratifs, les avis sont partagés. Certains estiment que c’est has been d’opposer différentes chapelles théoriques. D’autres pensent au contraire que l’intégratif 
est une imposture, et qu’officier en tant que thérapeute dans un seul champ théorique permet de structurer et cadrer la pratique.

Ces deux points de vue sont, à mes yeux, respectables", affirme-t-il. "Toutefois, comme toute psychothérapie, 
la psychothérapie intégrative représente un danger. On ne peut pas faire n’importe quoi, avec n’importe qui sous prétexte que l’on est intégratif. Il est important que le praticien soit respectueux 
du cadre, et conscient des déviances possibles. D’ailleurs, une psychothérapie intégrative n’est 
pas nécessairement plus efficace. Cela dépend grandement de la pathologie du patient. Il y a 
des méthodes rodées qui fonctionnent bien 
avec certains symptômes ou certains types de problèmes. Néanmoins, quand il s’agit spécifiquement d’une intrication de symptômes 
à gérer, doublée d’une problématique d’existence plus large, l’approche multifocale peut s’avérer bénéfique. Finalement, ce qui compte le plus n’est pas l’approche du thérapeute, intégrative ou non, 
mais le thérapeute lui-même, puisque ce dernier assurerait à lui seul plus de la moitié de l’efficacité d’une psychothérapie. »
 (1)

(1) Bruno Falissard est l’auteur de Mesurer la subjectivité en santé. Perspective méthodologique et statistique, Masson, 2008, et fut expert dans le cadre de l’étude de l’Inserm, Psychothérapie, trois approches évaluées, en 2004.

Propos recueillis par Héloïse Junier